Effets de style

A la suite de Nina BERBEROVA 

 

Six heures. Une lampe sous un abat-jour vert est allumée près de la caisse. Sept hommes, vêtus des mêmes vestes blanches, dressent silencieusement les tables. En bruissant, un monte-charge amène des hors-d’œuvre de la cuisine, et du réfrigérateur on apporte la « tarte maison » couverte de crème. A sept heures et quart la porte d’entrée se met à tourner, les premiers clients arrivent, puis les autres…
Ce n’est que salutations et mots convenus. Madame porte un chapeau. Monsieur enlève sa veste. Un portable sonne, tout le monde se retourne. Sur la table, un bouquet de violettes. Trois couverts sur la table 10. Une des vestes blanches apporte le menu. Vous prendrez un apéritif ? Madame fait non de la tête. Monsieur ne répond pas, il attend quelqu’un.
La porte s’ouvre. Un homme vêtu de noir, un étui à violon à la main, entre. Il fait un signe de tête et sans dire un mot, s’assoit avec le couple. Sept heures et demi.
Il se relève de sa chaise et ôte son imperméable clair. Il fait signe à une des blouses blanches et commande un alcool pour se réchauffer. Le silence s’installe entre les trois convives. Par où commencer. Recommencer. Un lien de fait depuis si longtemps. Les minutes s’égrainent. Il est sept heures quarante.
Soudain Madame blêmit et Monsieur qui pourrait s’affoler ne s’affole pas. L’homme au violon se tait encore. Madame baisse les yeux. L’homme au violon claque la langue après avoir lampé une gorgée d’alcool fort. Deux paires d’yeux se braquent sur lui. Tous trois, étrangement, esquissent un petit sourire triste.
Le claquement de langue. Entendu si souvent autrefois. Du temps du Blolchoï, alors qu’ils côtoyaient chaque soir les vestes blanches des plus grands restaurants de toute l’Europe. La vodka, partagée dans les plus grands palaces.
Ils ont tellement vieilli. Il n’y a plus qu’un étui à violon.
Il est huit heures.
La page qui tourne