La fraternité protestante - le foyer du peuple

En une décennie, Nantes la grise est devenue une ville d'Europe avec ses tramways blancs qui glissent sur les rails dans un chuintement élégant, ses avenues bien organisées et ses églises toutes propres.

Au 3 rue Amiral du Chaffaut, je retrouve un rythme inchangé en quarante ans à « la frat' ». C’est comme ça qu’on dit pour les initiés.

Une mosaïque vert pâle d'avant guerre encadre un haut et large porche. On peut y lire en lettres d'or brun : "La fraternité protestante, le foyer du peuple". C'est ouvert.

 

Le porche est long comme l'entrée d'une caverne ouvert sur le vaste univers de "la frat'".

Tout de suite à droite, une première porte de PVC vitrée ouvre sur une cuisine tout en long. C'est "Frat à ma porte". On est déjà dans l'ambiance. Ici, les solitudes du quartier viennent pour la chaleur d'un café et pour des rencontres avec les bénévoles qui dispensent leurs attentions en écoutant les récits de ces naufragés du monde - qui les rassurent peut-être, finalement, quand au cours de leur propre destinée. Au dessus, un foyer accueille pour quelques temps ces exilés de la société qui ne savent où se loger.

 

Plus loin, un immense  préfabriqué, conglomérat de pièces et de bureaux qui entourent une grande salle que je connais puisque c’est là que se déroule la chorale des adultes que je traversais lorsque je venais chercher ma fille qui était à la chorale enfants (frat’simili). Car à la Frat', il y a aussi de la place pour des chorales d'enfants, d'adultes et d'handicapés.

Si on avance on arrive dans la grande cour de terre battue presque dix voitures se garent… c’est nouveau, avant il n’y avait très peu de voitures.

Là, à gauche après les préfabriqués, il y a « véti frat » où je dépose mes fringues que je ne mets plus et où j’en achète d’autres pour un, deux ou cinq euros (5 euros c’est pour les ensembles).

J’ai remarqué qu’il y avait des femmes d’absolument tous les milieux, des femmes qui n’ont pas le sou autant que des femmes aisées qui recherchent des vêtements de marque à pas cher.

Il y a de plus en plus d’hommes. Au début, il n'y avait que  des acheteurs un peu miséreux. Quelques maghrébins, quelques anciens de la frat, (souvent on les devine alcooliques ou ex alcooliques) qui discutent les prix d’une voix éraillés et qui tutoient bénévoles et salariés. Peu à peu, le rayon hommes s'agrandit et la population masculine acheteuse de "fripes" se diversifie.

            Pour moi plus qu'un signe de crise, c'est le signe que l'on quitte de vieux principes et que l'on oublie ce côté miséreux que l'on associe parfois aux vêtements d'occasion et que dans une ambiance humaine, loin du consumérisme, on renouvelle sa garde robe économiquement et écologiquement !

 

Au fond il y a une grande, grande pelouse où personne ne va jamais et qui s’est appelé pendant quelques années : « place Sarajevo ».

Voir cette grande pelouse inutilisé à quelques minutes du centre de cette ville qui se veut d’Europe où le mètre carré est aussi cher que le capitalisme ( ?) m’a fait un bien fou !

Quand je dis que personne n’y va jamais c’est faux.

Il y a eu, quelques semaines après mon retour à  Nantes une fête à la frat et j’y suis allée.

Il y a parfois à la frat' des jours de fête d'une ambiance familiale qui balance entre le patronage bienveillant et l'esprit amicale laïque où l'on se déplace de stand en stand sur un air d'accordéon.

 

En face de la fripe, il y a la brocante où l’on achète des livres, des verres, des vieux sacs à dos tachés, des vases magnifiques pour pas un rond… aucune logique en relation avec les monde extérieur à la frat. Le livre vaut 50 Cts d’euros qu’il soit de 1700 ou de 1999. D’ailleurs, le livre antique vaut moins cher puisqu’il est abîmé !

 

 

C'est là qu'un soir d'atelier nous avons trouvé, à la lumière de nos lampes torche, des colliers alignés le long d'un mur, une peinture votive, un petit coussin rond, des chandeliers de métal découpé, des chats de porcelaine, des boutons sagement rangés par couleurs depuis plus de dix ans dans une multitude de bocaux de verre.

 

 

            C'est dans la salle de "frat à ma porte" que l'on nous avait aimablement prêtée que nous avons donné une nouvelle histoire à ces objets. Nous les avons arrachés à leur quotidien d'objets usuels et leur avons donné le profil d'œuvres d'artistes contemporains.

Le lendemain, Chantal les a tous étiquetés, de leurs cartels avant qu'il ne repartent pour une nouvelle vie accompagnant leurs acheteurs, tout nimbés de l'aura que leur conférait le texte conceptuel que nous leur avions destiné.

 
Frédérique