Je débarque chez lui. Je me doutais bien que ce serait à son image. Tout s’écroule, c’est sombre, et silencieux. J’ai bien fait de venir à l’improviste, il aurait trouvé un prétexte pour ne pas être disponible. Mais je veux voir où il dort.
Je suis surprise qu’il m’ait ouvert. Il avait sa cigarette au coin de la bouche. En me voyant il a baissé les yeux et m’a laissée passer. Il m’a suivie et s’est assis, sans un mot, sur les marches de l’escalier.
Tous ses gestes sont à économie d’énergie. Toute sa maison est à économie d’énergie, d’ailleurs. Mais je ne suis pas certaine que ce soit pour faire plaisir à Europe écologie les Verts : l’électricité ne fonctionne plus, il vit dans la pénombre. EDF ne fait pas dans la dentelle.
Et puis il lève les yeux vers moi. Il écrase sa cigarette dans le cendrier qui déborde au pied de l’escalier. Il se lève en s’appuyant sur son genou, lentement il déplie sa grande carcasse. Il se dirige vers ce qui a du être une cuisine un jour, prend deux bières dans un frigo ouvert et m’en tend une. Le bruit de la bière tiède qui coule dans sa gorge. En écho, le bruit de la bière qui coule dans ma gorge. Ce n’est pas très réglementaire, mais j’ai toujours eu du mal à faire la part des choses entre mon travail et ma vie privée.
Après cette bière bue en silence, je m’approche d’un meuble sur lequel est posée la photo abimée d’une petite maison. Il me regarde faire, puis me rejoint. Dans un français malhabile, il me dit qu’il s’agit de sa maison, de celle de sa vie d’avant. C’est une petite maison proprette, on a du mal à imaginer qu’elle ait pu appartenir un jour à l’homme que j’ai devant moi. Il me dit que c’est là qu’il retournera. C’est la première fois que j’entends autant d’assurance dans sa voix.
Je n’obtiendrai rien d’autre de lui aujourd’hui. Il décapsule une autre bière, ouvre la porte, et me montre la sortie d’un regard fier.