Pieds de nez
L'air pénétré et pointu, le nez se souvient du passé...
Chantal
C'est un nez...
Oui un nez, en forme de carotte orange vif, il est long, un peu informe, il ne respire pas vraiment, il semble un peu bouché, si on le regarde bien, sur le côté, il plonge un peu en avant, le froid peut être, car sur le bout se trouve un petit glaçon, en forme de perle.
Il hume, ses narines péniblement s'entrouvrent. Quelque chose vient titiller le fond de sa fosse nasale. Quelque chose de brut, de végétal. Une odeur persistante, il ne peut s'en débarrasser, n'en déplaise au vent glacial qui fait de la résistance. Elle est comme épaisse, cette odeur, presque vivante, elle parvient à passer au travers du mucus qui bouche chacune de ses narines.
Elle se fraye un chemin par des circuits neuronaux, jusqu'au cerveau.... qui hésite, soupèse le pour et le contre, s'interroge, consulte sa banque de données.... Epinards, mousse des bois, humus?
Puis l'évidence se fait, l'information devient fiable, c'est l'odeur du dernier parfum d'Yves Saint Laurent.
Celui d'une femme qu'il a croisée dans la rue, qui lui a souri, lui a glissé dans sa vieille main tendue, un billet de vingt euros. Il a apprécié ce billet, aimé ce sourire et conservé en mémoire, plusieurs mois après, le parfum de cette apparition, cette déesse, qui ce jour-là, lui a permis de prendre un repas chaud et embelli ses heures si froides de Janvier.
Il lève le nez, serait-elle de retour?
Pas si cruel, le temps qui passe, après tout, le temps a passé, la mémoire olfactive de ce nez si laid reste intacte. Est-elle bien là en face de lui ?
Il ouvre les yeux, rien, Il regarde autour, il ne voit rien, juste un souvenir, une odeur, et un visage de femme qui détourne les yeux.
La page qui tourne